Les Trucs
Les Trucs sont des objets géolocalisés mis en circulation de proche en proche
2010
« Nos mondes » ne sont-ils pas plus micro que nous le pensons ?
Pour le Jeu de Paume, le collectif Microtruc imagine Les Trucs, des objets mis en circulation, qui passent de main en main selon un protocole prédéfini. Ils sont géolocalisés sur une carte en ligne, ce qui permet de visualiser leurs trajets en temps réel. Sur le site Internet du Jeu de Paume, les internautes ont pu suivre, les mouvements de chaque « truc » et, également, lire les récits restitués par les « passeurs ».
Le protocole : chacun des membres du collectif Microtruc, confie toutes les semaines, un « Truc » à une personne de confiance. A son tour, le possesseur temporaire d'un « Truc » doit le confier à quelqu'un dans un délai maximum de 24 heures, il reçoit la consigne d'envoyer un courriel décrivant le « Truc » ainsi que le contexte et les circonstances dans lesquels celui-ci a été échangé. Ces messages sont alors publiés sur le site au fur et à mesure de leur réception.
Les « Trucs » ne seront jamais montrés au-delà des personnes qui les auront en main.
Il est interdit de prendre le «Truc» en photo.
Extraits des messages envoyés par les « passeurs »
Dimanche 14 novembre 2010, 15h59, 185 rue Ordener, Paris
Il était 15h59, ce dimanche-là, 14 novembre 2010.
Le truc m'est arrivé des mains d'une première amie, venue me rendre chez moi une petite visite d'entretien d'affection mais avec le clair projet de me refiler un truc d'abord présenté comme une sorte de patate chaude. Alors je l'ai essayé.
J'ai dormi la tête posée sur le truc : il était aussi confortable qu'un petit oreiller japonais
J'ai passé ma main entre le truc et son étiquette : je l'ai eu bien en main pour frictionner mon corps avec de l'huile d'amante
J'ai suçotté le truc et caressé mon nez avec un coin de ses coutures : il était doux comme un doudou
Mais y a un truc avec ce truc en plus du truc qu'il y a dedans : tout à coup, ça m'a pris : une frénésie de rangement ! J'ai classé tous mes machins, nettoyé tous les bidules, secoué le bazar, remis d'aplomb les bitonios, ré-organisé le zinzin et tout le saint-frusquin.
C'est pour ça que je préfère m'en débarrasser, même si je l'ai beaucoup embrassé
Jenny
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Samedi 20 novembre, 19h, rue de Bretagne, Paris
Ce truc si libre et connecté.
Ce truc me fait peur. Une sorte de corps étranger à moi-même, à quiconque d'ailleurs. Je pourrais m'y attacher, ne jamais l'oublier, espérer le retrouver. Ce truc comme une forme libre, incapable de se laisser enfermer, emprisonner. C'est une forme blanche et transparente, un espace autrement dit. Un espace ailleurs peut-être, un espace circulant et informe. Pourtant je peux le tenir dans le creux d'une seule main. Je peux fermer les yeux et inverser le temps. Celui de cette couleur blanche et transparente. Ce truc s'insinue sous la peau aussi, il s'immisce en chacune de nos petites pensées. Disons qu'il existe des milliers de trucs de ce genre. Un genre que l'on pourrait croire effacé, un genre encore non nommé. Disons que nous ne le savons pas encore, que nous ne percevons pas encore ce genre de truc. Qu'il est apparu un soir de pleine lune et qu'il disparaîtra un soir d'Equinoxe. Disons surtout que ce truc que l'on croyait simplement de forme informe, de couleur blanche et tenant dans le creux d'une seule main est différent. Je ne sais pas qui je suis, je m'en fiche un peu, nous sommes des milliards et d'ailleurs je ne sais pas quand nous mourrons. Mais je me dis qu'il y aura bien un genre de truc comme celui-ci qui pourra apaiser ma petite peur, ma petite vie, ma petite mort dans des milliers d'années, de souvenirs et de mots partagés. Une sorte de corps engouffré à moi-même cela ne se dit pas, cela n'existe pas de m’engouffré à moi-même pourtant, je suis certaine que ce truc nous absorbe, nous avale, nous dévore et nous ingurgite à nous-mêmes. Je suis certaine qu’elle m'a offert ce truc sans genre pour que je m'y attache, que je n'oublie pas que dans des milliers d'années j'espère le retrouver, ce truc si libre et connecté.
agnès
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jeudi 2 décembre, 16h30, Chez Fred, place du Palais, Bordeaux
Elle m'a dit j'ai un TRUC à te dire.
Elle m'en a dit peu. Il était question de me confier quelque chose, de confiance.
Oui, bien sur, tout ce que tu veux, vite, jeudi oui, pas de soucis.
Elle en parlait depuis 2 jours de ce TRUC, qui devait lui tomber dessus, Cela avait l'air bien.
Oui, j'arrive, je vais me réjouir avec toi.
Rendez-vous pris, 17h, jeudi 2, Chez Fred, le QG, la boussole, le bistrot du quartier,
place du palais, à Bordeaux.
Elle a vidé son sac, en prévenant, tu verras, il n'est pas ordinaire.
Elle me l'a confié sur la table en formica jaune.
A mon tour, je l'ai caché, protégé, du froid et des regards.
Rapidement, les consignes, ce que je dois faire, ce qu'il fait seul.
Le TRUC n'est pas très séduisant. J'en prendrai soin pendant 24h.
Je partage avec elle des terrasses au soleil, quelques bonnes tranches de rire
dans le vert ou la grisaille, la m'me rue, des projets, une bonne connexion.
Des enthousiasmes, des idées, des envies. Une certaine retenue aussi.
Et maintenant le TRUC.
Il est à côté de moi, discret. Personne et tout le monde sait qu'il est chez moi.
Si il m'accompagne aujourd'hui, ils sauront tous où j'étais.
Il m'a juste dit qu'à nous tous, sans tous nous connaître, nous avons participé un objectif commun.
Avec des contraintes et sans gains.
Pour la performance et la démonstration du singulier accompli dans le collectif.
Je vais le transmettre ce soir. Regretter un peu le déjà. A mon tour faire confiance. A mon tour être maillon de ce petit monde.
Pas jojo le TRUC mais puissant.
Penser à lui dire merci, à elle.
Charlotte
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